Revista Nº39 "SOCIOLOGÍA Y EDUCACIÓN"

 

 

Pour une conception interdisciplinaire de la traductologie: les théories de la traduction

Bamba Dochienmè Mathieu

Université Félix Houphouët Boigny

dochienme@gmail.com

Résumé

La traduction est aujourd’hui un point de rencontre de diverses activités sociales, économiques, scientifiques, etc. De fait, nous sommes à l’ère de la traduction. C’est à juste titre que la traductologie prend tout son sens en tant qu’ensemble des réflexions relatives aux phénomènes traductionnels, d’autant plus que le monde actuel repose essentiellement sur les échanges d’ordre traductif qui ont lieu entre divers peuples ou organismes internationaux. La présente étude vise à rendre raison de la traductologie comme une science interdisciplinaire. Pour ce faire, elle s’appuie sur les théories de la traduction comme outils d’analyse des phénomènes traductionnels, à cheval entre la traductologie et d’autres sciences voisines.

Mots Clé: traduction – traductologie – interdisciplinaire – phénomènes traductionnels – sciences voisines.

Resumen

Hoy en día, la traducción es un punto de encuentro entre diversas actividades sociales, económicas, científicas, etc. De hecho, nos encontramos en la era de la traducción. La traductología cobra todo su sentido, con razón, como conjunto de reflexiones relacionadas con los fenómenos traductivos, ya que el mundo actual se fundamenta en esencialmente en los intercambios de índole traductiva que se dan entre diversos pueblos u organismos internacionales. El presente estudio busca presentar la traductología como una ciencia interdisciplinar. A este respecto, se apoya en las teorías de la traducción como herramientas de análisis de los fenómenos traductivos, a caballo entre la traductología y otras disciplinas afines.

Palabras clave: traducción – traductología – interdisciplinar – fenómenos traductivos – ciencias afines.

Introduction

L’essence de la traductologie réside dans sa diversité conceptuelle. À l’image des approches de la traduction, les théories de la traduction permettent de définir la traductologie comme une science interdisciplinaire. Mathieu Guidère (2016 : 71) explique la nuance qui existe entre les approches et les théories de la traduction :

«à côté des approches qui désignent une orientation générale des études à partir d’un point de vue disciplinaire particulier (linguistique, sémiotique, pragmatique, communicationnel…), on trouve un certain nombre de théories spécifiques à la traduction. Les "théories" de la traduction sont des constructions conceptuelles qui servent à décrire, à expliquer ou à modéliser le texte traduit ou le processus de traduction. Même si ces théories peuvent être issues de cadres conceptuels existants, elles présentent la particularité d’être exclusives, c’est-à-dire de proposer une réflexion centrée uniquement sur la traduction. À l’inverse des approches qui tendent à rattacher la traduction à des disciplines instituées, ces théories veulent renforcer l’autonomie et l’indépendance de la traductologie».

Il faut signaler que ce point de vue de Guidère constitue une innovation dans l’étude des théories de la traduction. Mais, il va à l’encontre de certains acquis fondamentaux sur lesquels repose la traductologie ; et pour cause. Le concept d’approche nous semble quelque peu ambigu, en ce sens qu’une approche est une réflexion théorique sommaire, qui une fois approfondie, se mue en théorie. Or, selon Guidère, on parle d’approche lorsqu’il s’agit d’une réflexion qui émane d’une science distincte de la traductologie. Cet argument semble occulter le fait que la traductologie moderne doit son développement à des théories émanant de la linguistique.

Les théories de la traduction sont des outils d’analyse des phénomènes traductionnels. Elles servent de point d’ancrage à l’étude de la traduction, selon des orientations diverses. En réalités, elles fondent l’interdisciplinarité de la traductologie. C’est grâce aux théories de la traduction que la traductologie a la particularité de coexister avec de nombreuses sciences qui étudient également la traduction. Dès lors, cette analyse a pour objectif de rendre raison du caractère interdisciplinaire de la traductologie, à travers les théories de la traduction.

De façon traditionnelle, il existe quatre grandes théories de la traduction : la théorie linguistique, la théorie de l’équivalence dynamique, la théorie interprétative et la théorie du skopos.[1]

I. Vers la consolidation de l’héritage de la linguistique dans les études traductologiques: les théories linguistiques de la traduction

Avant tout propos, il est important de signaler que la traductologie et la linguistique sont deux sciences distinctes. À ce titre, il faut reconnaitre que la linguistique a joué un rôle primordial dans le processus de constitution de la traductologie en science autonome.

L’histoire de la traductologie révèle qu’il s’agit d’une science «nouvelle et ancienne à la fois» (Milliaressi, 2011: 11). En réalité les idées traductologiques ont existé depuis des temps très anciens. Mais, lesdites idées étaient diffuses et peu organisées pour former un système cohérent et pouvant faire l’objet d’une étude scientifique rigoureuse. Ce caractère prescriptif des idées traductologiques a progressivement cédé le pas à des velléités théoriques descriptives et prédictives, dès lors que la linguistique s’est intéressée à l’étude de la traduction.

Tatiana Milliaressi (ibidem) dit que l’intérêt de la linguistique pour les études traductologiques a permis une «prise de conscience des bases théoriques de la traduction ». Même si les premières tentatives de description de la traduction ont été faite dans une perspective « issue de la linguistique», la traductologie est « dotée de sa méthodologie propre» de nos jours. L’interdisciplinarité entre la traductologie et la linguistique est sans doute la plus ancienne, vis-à-vis de ses rapports avec les autres disciplines. La traductologie a pendant longtemps été considérée comme une partie de la linguistique. Cela est dû à l’histoire qui lie ces deux disciplines. Nous le voyons, la traductologie et la linguistique s’intéressent, toutes deux, prioritairement à la langue. De même les premiers traductologues, sont majoritairement des linguistes. Nous pouvons donc affirmer que les liens entre ces deux disciplines sont solides. À ce titre, la linguistique a développé deux théories majeures de la traduction : la théorie linguistique et la théorie de l’équivalence dynamique.

1. 1. La théorie linguistique

De toutes les disciplines avec lesquelles la traductologie entretient des rapports épistémologiques, la linguistique est celle qui s’est le plus intéressée à la traduction. De façon générale, la linguistique voit en la traduction une activité basée sur la langue. Tel est le point de vue de Mathieu Guidère (2016: 43): «l’approche linguistique se caractérise par le fait qu’elle envisage la traduction avant tout comme une opération d’essence verbale».

La théorie linguistique de la traduction envisage la traduction comme une comparaison de deux systèmes linguistiques. Elle a, de ce fait, été appelée "modèle de la stylistique comparée". Cette appellation se rapporte au livre qui a permis de découvrir la théorie linguistique de la traduction. Cette théorie est la première tentative d’explication scientifique de la pratique de la traduction. Le modèle de la «stylistique comparée» est l’œuvre des auteurs canadiens à travers leur ouvrage « Stylistique comparée du français et de l´anglais (1958), Jean-Paul Vinay (1910-1999) et Jean Darbelnet (1904-1990)» où ils « se déclaraient persuadés qu´une confrontation des deux stylistiques (la française et l´anglaise) permettra de distinguer les lignes générales et dans certains cas même les lignes précises dont l´application puisse porter à l´automatisation partielle de la traduction» (Raková, 2014: 89). Larose (1989: 11) cité par Guidère (2016: 45) affirme que cette théorie est consignée dans l’un des ouvrages qui «a le plus marqué les études de traduction».

1.1.1. La théorie linguistique et les types de traduction

Vinay et Darbelnet distinguent deux types de traduction : la traduction directe ou littérale et la traduction oblique. Le modèle de la «stylistique comparée» considère une traduction comme directe ou littérale lorsque «le message en langue de départ se laisse parfaitement transposer […] en langue d´arrivée, parce qu´il repose soit sur des catégories parallèles (parallélisme structural), soit sur des conceptions parallèles (parallélisme métalinguistique)» (Raková, 2014: 89). En revanche, une traduction est dite oblique lorsque le traducteur dénote des difficultés, inhérentes à la structure des langues impliquées dans le processus de traduction, qu’il lui faudra combler par des tournures linguistiques. Ces deux types de traduction donnent lieu à sept procédés de traduction, en fonction du type de traduction.

1.1.2. La théorie linguistique et les procédés de traduction

Vinay et Darbelnet définissent des procédés de traduction exposés ci-après par Mathieu Guidère (2016 : 45) : «l’application des critères leur permet de distinguer sept procédés techniques de traduction : trois procédés directs (l’emprunt, le calque, la traduction littérale) et quatre procédés obliques (la transposition, la modulation, l’équivalence, l’adaptation)».

Pour Raková (2014: 95) l’emprunt «est le plus simple des procédés». Il consiste pour le traducteur à utiliser dans sa traduction des termes (étrangers), propres à la langue-source, et de les adapter à la langue-cible. Quant au calque, il consiste à emprunter (sans adapter), à la langue-source, une structure syntagmatique dont les différents éléments sont traduits dans la langue-cible. Raková (ibidem) affirme, à ce sujet, que l’usage du calque peut aboutir à deux situations: «soit à un calque d´expression, qui respecte les structures syntaxiques de la langue-cible, en introduisant un mode expressif nouveau, soit à un calque de structure, qui introduit dans la langue-cible une construction nouvelle.»

La traduction littérale est également appelée traduction mot-à-mot. Elle désigne le passage de la langue-source à la langue-cible en respectant scrupuleusement la structure syntaxique et syntagmatique; elle aboutit à un texte à la fois correct et idiomatique. (Raková, idem: 96)

La transposition est un procédé qui consiste à formuler différemment une partie du texte-source, sans pour autant altérer le sens de ladite partie dans le texte-source. Raková (idem: 98) illustre cette définition avec l’exemple ci-après:

«"Il a annoncé qu´il reviendrait" devient par transposition du verbe subordonné en substantif: "Il a annoncé son retour". Cette seconde tournure sera appelée tournure transposée, par opposition à la première, qui est tournure (sic!) de base.»[2]

En ce qui concerne la modulation, elle s’obtient en changeant de point de vue dans la traduction du texte de départ afin d’éviter l’emploi d’un mot ou d’une expression qui serait inappropriée dans la langue d’arrivée. Pour Raková (idem: 99), «elle se justifie quand on s´aperçoit que la traduction littérale ou même transposée aboutit à un énoncé grammaticalement correct, mais qui se heurte au génie de la langue d´arrivée.» En clair, elle emmène le traducteur à changer la catégorie grammaticale d'un mot ou d'un groupe de mots sans changer le sens du message.

En ce qui concerne l’équivalence, le traducteur doit comprendre la situation dans la langue de départ et doit trouver l’expression équivalente appropriée et qui s’utilise dans la même situation dans la langue d’arrivée. Dès lors, il procède à une rédaction du message entièrement différente d’une langue à l’autre. Le procédé de l’équivalence est plus utilisé pour les exclamations, les expressions figées ou les expressions idiomatiques.

L’adaptation est une situation «extrême de la traduction» (Raková, idem: 100). Elle est utilisée lorsqu’un concept ou un fait culturel est présent dans le texte-source, mais n’a pas de correspondance culturelle directe dans la langue-cible. Dans ce cas, le traducteur doit rendre ledit contexte par «une équivalence de situations.» (Raková, idem: 101)

En résumé, la théorie linguistique conçoit la traduction comme une opération essentiellement linguistique. Elle se veut également une méthode de traduction. C’est pourquoi elle se définit à travers des concepts pragmatiques sur la pratique de la traduction.

Cette théorie a suscité plusieurs critiques. La principale critique à son encontre est sa focalisation sur le seul aspect linguistique de la traduction. La théorie de l’équivalence dynamique se présente, dans cette optique, comme une remise en cause de la théorie linguistique de la traduction.

1.2. La théorie de l’équivalence dynamique

La théorie de l’équivalence a été développée par Eugen Nida. Son ouvrage intitulé Toward a Science of Translating a eu un rôle incontournable dans le développement de cette théorie. Charles Taber est le co-promoteur de la théorie de l’équivalence dynamique. Il s’agit d’une théorie linguistique de la traduction, certes. Mais, elle a été la première théorie de la traduction à tenter d’expliquer le phénomène traductionnel au-delà de la dimension purement linguistique. De ce point de vue, nous pouvons affirmer que la théorie de l’équivalence dynamique a permis aux traductologues du XXème siècle d’établir les bases d’une traductologie non linguistique et qui se fonde sur la communication interculturelle. La théorie linguistique a défini la traduction à partir d’un point de vue comparatiste. En effet, elle voyait en la traduction une comparaison entre deux systèmes linguistiques. Dès lors, la langue est la pierre angulaire de cette théorie. Ainsi, elle perd de vue tout ce qui entoure la langue, notamment le contexte et la culture qui fonde la langue.

La théorie de l’équivalence s’est inscrite en faux contre cette vision linguistico-centrique de la traduction. Il convient alors de déterminer les particularités de cette théorie qui en font une théorie aux antipodes de la théorie purement linguistique. Notre analyse s’appuie sur les questions essentielles suivantes: que recouvre le concept d’équivalence? Dans quelle mesure la théorie de l’équivalence est-elle à mi-chemin entre la langue et la culture? Et quel est son apport à la traductologie moderne?

1.2.1. Pour une approche du concept d’équivalence

Dans un premier temps, il faut observer que le concept novateur de cette théorie, vis-à-vis de la théorie linguistique est "l’équivalence". Dans la perspective purement linguistique, Vinay et Darbelnet en avait fait un simple procédé de traduction. En revanche, les promoteurs, Nida et Taber, de la théorie de l’équivalence, ont insufflé un dynamisme à cette notion. Pour ce faire, ils l’ont positionnée au centre de la définition de la traduction : «la traducción consiste en reproducir, mediante una equivalencia natural y exacta, el mensaje de la lengua original en la lengua receptora, primero en cuanto al sentido y luego en cuanto al estilo»[3] (Nida et Taber, 1970: 40)

La notion de l’équivalence est devenue, à ce titre, une notion incontournable de la traductologie. Elle constitue un tiers-espace dans la séculaire polémique entre la traduction libre et la traduction mot à mot. Par cette notion, les traductologues ont commencé à définir les systèmes de relation qui peuvent exister entre la langue-source et la langue-cible. Ainsi, elle a joué le rôle de dénominateur commun aux diverses relations qui peuvent être prises en compte entre les deux langues, les deux communautés, les deux visions du monde impliquées dans la traduction. Cela a poussé Rosa Rabadán (1991: 291) à affirmer que: «noción central de la disciplina translémica, de carácter dinámico y condición funcional relacional, presente en todo binomio textual y sujeta a normas de carácter sociohistórico. Determina, con propiedad definitoria, la naturaleza misma de la traducción»[4].

Le dynamisme de la théorie de l’équivalence consiste à rechercher des correspondances de divers ordres. En fait, elle a déplacé l’attention qui était portée sur le sens du message, le récepteur et sa réaction face au texte traduit, pour scruter les possibilités de générer une traduction qui soit cohérente vis-à-vis de l’original en termes de forme textuelle, de contenu, de style, de fonction, de référence contextuelle, entre autres.

1.2.2. Pour une approche communicationnelle de la théorie de l’équivalence

La théorie de l’équivalence se veut plus pragmatique que la théorie linguistique de la traduction. Elle envisage, en ce sens, la traduction avant tout comme un processus de communication. Pour se faire, Nida et Taber restent convaincus que la traduction ne peut être unidirectionnelle. En d’autres termes, un texte peut être traduit diversement, en fonction du public-cible. En clair, plutôt qu’un processus de comparaison de deux langues, la traduction est désormais vue comme une recherche constante de solutions communicatives, en vue de diffuser ou de divulguer un message ou une œuvre donnée. La théorie de l’équivalence prend alors en compte le contexte communicationnel qui régit toute traduction. La communication vise à faciliter la correcte compréhension du message véhiculé. Cela oblige l’émetteur dudit message à tenir compte de la qualité du récepteur dans sa codification. Par exemple, selon cette théorie, un ouvrage classique peut faire l’objet de différentes traductions, pour être adressée à un lectorat de spécialistes de l’époque classique, pour être incorporée à une collection de littérature pour jeunes, ou pour être adaptée à un scénario cinématographique. De ce fait, la dimension pragmatique de la traduction oblige à prendre en compte la catégorie sociale à laquelle elle s’adresse.

1.2.3. Théorie de l’équivalence et traduction de la culture

La théorie de l’équivalence insiste sur les conditions de réception de la traduction. Elle s’inscrit, de ce fait, dans la perspective de la sociologie de la réception. Dans cette dynamique, elle analyse les différences culturelles qui peuvent exister entre le texte-original et sa traduction. Cette différence de culture constitue, de facto, un problème à résoudre pour tout traducteur, au moment de se lancer dans un processus de traduction. La théorie de l’équivalence dynamique insiste sur le fait qu’il n’existe pas de correspondances terminologiques ou conceptuelles fixes entre les langues objet de traduction. Si tel était le cas, la traduction serait une opération mécanique par laquelle il suffirait de transposer systématiquement une série d’éléments préalablement définis comme équivalents entre deux langues. La réalité de la culture implique que dans la traduction il faut comprendre les habitudes langagières et communicationnelles propres à chaque peuple. Il est certes vrai qu’il existe dans certains cas des équivalences invariables d’ordre lexical, syntaxique ou culturel, mais la prise en compte de l’aspect culturelle transforme la traduction en une activité où les équivalences se négocient. Amparo Hurtado Albir (2001: 209) donne certaines situations de traduction qui illustrent notre point de vue:

«es cierto que pueden proponerse una serie de elementos que, en principio, serían directamente transcodificables cuando se encuentran en un texto: las unidades léxicas monosémicas (Bordeaux=Burdeos; mil=thousand, etc.) las frases hechas (It’s raining cats and dogs=Llueve a cántaros, etc.); las unidades léxicas polisémicas según campos léxicos (el término francés ancre si se refiere a la marina equivale al español áncla, en relojería a áncora y en arquitectura a grapa); determinados elementos morfosintácticos (el participio especificativo francés equivale en español a una oración de relativo); los gestos (en muchas culturas para negar no se mueve la cabeza a derecha e izquierda sino que se levanta); los elementos culturales (el pan de la cultura occidental corresponde al arroz en otros culturas), etc. »

En résumé, la théorie de l’équivalence dynamique se pose comme une remise en cause de la théorie linguistique de la traduction. Les arguments exposés plus haut nous permettent de dire que la théorie de l’équivalence a été à l’origine de certaines nouvelles théories de la traduction, notamment les théories fonctionnalistes. Nous en voulons pour preuve le rôle capital qu’occupe la culture dans les théories fonctionnalistes de la traduction. D’ailleurs, Vermeer et Reiss ont récupéré la notion transcendantale de l’équivalence pour l’inclure dans la terminologie technique de la théorie du skopos (l’une des théories fonctionnaliste), tout en la distinguant de l’adéquation :

« Reiss y Vermeer (1984) introducen el concepto de función y diferencian entre equivalencia y adecuación. Según estos autores, la equivalencia define una relación entre dos magnitudes que tienen el mismo valor y pertenecen a la misma categoría y "expresa la relación entre un texto final y un texto de partida que pueden cumplir de igual modo la misma función comunicativa en sus respectivas culturas". La adecuación, sin embargo, "se refiere a la relación que existe entre el texto final y el texto de partida teniendo en cuenta de forma consecuente el objetivo (escopo) que se persigue con el proceso de traducción » (Hurtado Albir, ibidem: 219).

2. La théorie interprétative ou théorie du sens

La théorie interprétative est aussi appelée théorie de sens. Elle s’est développée au sein de l’École supérieure d’interprètes et de traducteurs (ESIT) de Paris. Cette théorie est d’inspiration francophone; c’est à juste titre qu’on l’appelle souvent la théorie de l’École de Paris. Les principaux promoteurs de cette théorie sont Danica Seleskovitch, Marianne Lederer, Jean Delisle et Amparo Hurtado Albir (cf. Moya, 2010 : 69 cité par Raková, 2014 : 144).

La théorie interprétative est née à partir de l’observation de la traduction orale ou interprétation. Ses méthodes et ses concepts fondateurs font d’elle une théorie qui s’applique prioritairement à l’interprétation. Néanmoins, elle demeure une théorie pertinente pour analyser la traduction écrite. De façon générale, la théorie interprétative remet en cause la conception exclusivement linguistique de la traduction. À ce sujet, elle stipule que la traduction ne doit pas se focaliser sur les mots (écrits ou que nous entendons), mais se concentrer sur le sens véhiculé par le canal de ces mots. Comment la théorie interprétative définit-elle la traduction ? Quels sont les notions clé de cette théorie ? Et, comment contribue-t-elle à enrichir les outils d’analyse dont dispose la traductologie ?

Notre étude de la théorie interprétative s’organisera autour de trois points essentiels : la distinction entre le sens et la signification, les compléments cognitifs et le processus interprétatif.

2.1. Les notions de sens et de signification : l’essence de la théorie interprétative

Le sens constitue un élément important, voire incontournable dans la théorie interprétative. Dans cette perspective, ce qui devrait compter le plus dans une traduction, c’est le sens (conformément à la théorie objet de la présente analyse). C’est à juste titre que cette théorie est également appelée théorie du sens. La théorie interprétative envisage la traduction, non pas comme un travail que le traducteur doit opérer sur la langue, mais plutôt sur le message. Comment faut-il comprendre, en effet, le message, puis le ré-exprimer ? Pour résoudre cette problématique, la distinction entre les notions de sens et de signification est d’une grande importance dans la théorie du sens.

De prime abord, le sens et la signification sont compris comme des termes synonymes. Mais, dans la perspective de la théorie interprétative de la traduction, il convient de voir une nuance dans la définition desdites notions. Du point de vue des théoriciens du sens, l’absence de distinction entre ces deux notions pourrait conduire le traducteur à détourner son attention du message pour ne "superposer" que des mots. Le contexte extralinguistique a une fonction primordiale dans la distinction que la théorie interprétative fait entre le sens et la signification. Par contexte, il faut comprendre l’ensemble des événements, faits ou circonstances qui entourent le message à traduire. Le contexte représente un facteur d’actualisation du message à traduire. C’est par le contexte, de fait, qu’un mot donné s’individualise d’un énoncé à l’autre. Hors du contexte, les mots ont un caractère ouvert. Chaque mot considéré de façon isolé peut, ipso facto, renvoyer à un chapelet de concepts. Dans le cadre de la théorie interprétative, chacun des concepts auxquels un mot peut se référer est appelé "signification". En revanche, lorsque le discours est inscrit dans un contexte, l’une de ces significations possibles s’actualise pour devenir le sens. Cela nous amène à dire que le sens est la signification pertinente d’un mot ou d’un énoncé vis-à-vis du contexte extralinguistique.

Marianne Lederer (1994: 216) peut alors conclure cette analyse consacrée à la distinction entre le sens et la signification, en disant que :

«[la]"signification" s’applique à des mots et à des phrases isolées. La signification des phrases résulte des significations lexicales et grammaticales. Les significations lexicales décrites dans les dictionnaires. Elles relèvent de la langue et représentent un "pouvoir signifier" non actualisé. Dans les phrases, elles sont déterminées par le contexte verbal autant que par leur signification initiale au plan de la langue ; dans le discours, elles le sont en outre par le domaine cognitif et par la particularité d’emploi d’un auteur. Les significations pertinentes des mots sont le produit de ces déterminations. Seules les significations pertinentes participent à la formation du sens ».

L’essence de la théorie interprétative est le sens. Quelle est donc l’implication du traducteur dans la construction du sens ?

2.2. L’expérience du traducteur comme fondement de l’acte de traduire : les compléments cognitifs dans la théorie du sens

Selon les études réalisées dans le cadre de la théorie interprétative, l’actualisation du sens d’un discours grâce au contexte n’est pas suffisante pour comprendre explicitement ledit discours. Il faut aller au-delà de la dimension linguistique de l’énoncé à comprendre et à ré-exprimer. Pour ce faire, le traducteur fait appel à son expérience personnelle, afin de couronner le processus de construction du sens. D’où la notion de compléments cognitifs dans la théorie du sens. La construction du sens s’appuie sur l’expérience et la culture du traducteur. En réalité, aucun lecteur n’aborde un texte quelconque en ayant l’esprit vide de toute connaissance. Il est évident que chaque fois qu’un lecteur se retrouve en face d’un texte qu’il entreprend de comprendre, la connaissance extérieure du monde dont il dispose lui sert de point de départ dans ledit processus.

Dans le cadre de la théorie interprétative, le lecteur-traducteur se départit des mots, pour laisser apparaître dans son entendement les images mentales que ceux-ci incarnent. Cela confère à la construction du sens un caractère psychique. En fait, l’association des mots à des images mentales suppose faire passer les mots en questions à travers le moule des expériences vécues (et latentes) conservées dans le psychisme du lecteur-traducteur. Il s’agit ici d’une opération qui se déroule dans le psychisme du lecteur-traducteur. Nous pouvons également qualifier cette opération de non verbale et non manifeste. Par cette opération, le lecteur-traducteur associe l’expérience textuelle en cours à ses expériences personnelles antérieures (que celles-ci soient manifestes ou latentes). Ainsi, il parvient à actualiser le sens du discours dans le flux des expériences qui conditionnent sa personnalité. Ces expériences s’ajoutent à la signification pertinente obtenue par le biais du contexte extralinguistique.

Marianne Lederer (1997: 15) illustre l’apport essentiel des compléments cognitifs à la construction du sens, en affirmant que : « [le] sens se construit donc par la fusion de ce qui, d’une part, se dégage de la langue actualisée par le texte et de ce qui, de l’autre, est apporté par les connaissances pertinentes du récepteur ».

Dans cette optique, la construction du sens exige un effacement constant des mots du texte-source, doublé d’une projection immédiate des réalités contenues dans le psychisme du lecteur-traducteur. Nous pouvons, dès lors, affirmer que l’aspect linguistique est relégué au second plan, au profit de l’aspect cognitif. Le sens devient alors un espace de négociation constante. Cela pousse Danica Seleskovitch et Marianne Lederer (1984 : 19) à dire que : « [le sens] se construit au fur et à mesure que se déroule la chaîne parlée ; si on fige brusquement le tout pour en découper un segment au hasard, on peut certes extraire un passage et en analyser la correction, il sera impossible d’en extraire en même temps le sens qui restera pris dans la masse du texte ».

De ce qui précède, le sens est une réalité qui se perçoit individuellement et varie d’un traducteur à l’autre, en fonction des connaissances et de l’expérience de chacun. Il appartient au traducteur de veiller à ré-exprimer le sens afin de le communiquer avec correction au lectorat de sa traduction.

2.3. Le processus interprétatif

La théorie interprétative voit en la traduction un processus interprétatif. Traduire revient à interpréter ce que nous avons compris du texte-source. En d’autre termes, traduire signifie comprendre et dire. De ce fait, le traducteur comprend le texte dans la langue de départ, puis le ré-exprime dans la langue d’arrivée.

Selon Marianne Lederer (1994: 9-15) citée par Guidère (2016: 72), la théorie interprétative se résume en trois postulats, à savoir : 1/° tout est interprétation; 2/° on ne peut pas traduire sans interpréter ; et 3/° la recherche du sens et sa réexpression sont le dénominateur commun à toutes les traductions. Cela permet à la traductologue canadienne de définir la théorie du sens en ces termes : «la théorie interprétative […] a établi que le processus [de traduction] consistait à comprendre le texte original, à déverbaliser sa forme linguistique et à exprimer dans une autre langue les idées comprises et les sentiments ressentis». (Lederer, 1994, citée par Guidère, 2016 : 72)

De même, pour Danica Seleskovitch, la théorie du sens se base, à la fois, sur la perception de la langue et de la réalité. Le processus de traduction n’est pas systématique, en réalité. Il passe par une correcte appréhension de l’outil linguistique et de la réalité environnante. La perception de la langue et de la réalité permet, de facto, de «déverbaliser» le discours. La déverbalisation est un « processus dynamique de compréhension puis de réexpression des idées » (Guidère, 2016: 72)

Dans la même dynamique, Jean Delisle explique le processus interprétatif conformément à la théorie du sens. Il comporte trois étapes : la compréhension, la déverbalisation et la réexpression. La première phase du processus interprétatif est celle de compréhension du texte. Elle consiste à déverbaliser les codes linguistiques du texte-source. Il s’agit de dégager le sens pertinent des codes dudit texte à l’aide du contexte. La deuxième phase consiste en la reformulation. Ici, il s’agit de reformuler la signification des codes du texte de départ au lieu des codes eux-mêmes. Finalement, il y a la phase de vérification « qui vise à valider les choix faits par le traducteur en procédant à une analyse qualitative des équivalents, à la manière d’une retro-traduction ». (Guidère, 2016: 72)

2.3.1. La compréhension

La compréhension est une étape obligatoire dans tout acte de communication. Elle l’est d’autant plus pour la théorie interprétative, en ce sens que le résultat de toute l’opération de traduction dépend de sa pertinence. Tel que nous l’avons expliqué plus haut, la compréhension est un processus par lequel le lecteur-traducteur déconstruit et reconstruit. Il déconstruit en disséquant les mots du texte-source. Par contre, la reconstruction coïncide avec la construction du sens, en s’appuyant sur le cadre extralinguistique et les compléments cognitifs.

Pour Danica Seleskovitch (1981 : 12), la compréhension est à la fois un processus dynamique et intuitif :

«la compréhension du discours ne suit ni l’organisation verticale ni la stricte linéarité des structures de la langue ; elle ne procède pas d’abord à une discrimination phonémique, puis à l’identification des mots, suivie de la levée de leur ambiguïté, puis de la saisie de la signification syntaxique de la phrase, de la levée de l’ambiguïté de cette dernière… La compréhension du discours se construit cybernétiquement en des allers et retours constants entre perceptions partielles et des associations cognitives qui se produisent en de brusques synthèses ».

Les travaux de l’École de Paris ont permis de postuler la traduction au-delà de la simple matérialité linguistique. La compréhension est très importante dans cette optique. Un processus de compréhension mené à bon escient, permet de se projeter au-delà des signes linguistiques. En réalité, le sujet qui traduit, agit à la fois en tant que lecteur et traducteur (c’est-à-dire émetteur du texte-cible). Ainsi, il est important que le traducteur dispose de solides connaissances de la langue et qu’il tienne compte des différents éléments qui interviennent dans le processus de compréhension. La parfaite maîtrise de la langue-source, jointe à la pertinence des éléments cognitifs facilitent le processus de compréhension. La phase de compréhension cède le pas à la déverbalisation.

2.3.2. La déverbalisation

D’emblée, il faut préciser que, dans la terminologie technique de la théorie du sens, la déverbalisation représente une notion qui s’applique plus à l’interprétation qu’à la traduction écrite. La déverbalisation, dans la communication courante, consiste à se détacher des mots que nous entendons, au profit du sens global du discours. Là-dessus, Dinh Hong Van (2010: 151-152) souligne que : « si quelqu’un nous raconte une histoire, ou une blague, nous en gardons un souvenir cognitif et les mots avec lesquels elle a été racontée disparaissent ; la preuve en est que, dans la grande majorité des cas, nous la raconterons en employant d’autres mots ».

À partir de ce point de vue de Dinh Hong Van, nous pouvons dire que les mots du discours-source disparaissent très rapidement. Ainsi, la déverbalisation se fait à travers la conservation du sens dans un souvenir mental, et non verbal. La déverbalisation est, de ce fait, une évanescence des mots au moment de la réception du discours. À l’écrit, ce processus peut paraître certes difficile à cerner, mais il existe. En effet, les mots sont fixés sur un support visuel. Cette fixation des mots peut rendre complexe la déverbalisation du texte à traduire. Pour ce faire, les promoteurs de la théorie du sens recommandent plusieurs lectures du texte. Par le moyen d’une lecture répétée, le processus de déverbalisation se produit. De ce fait, le traducteur se dissocie de la fixation des mots, bien que ceux-ci demeurent présents sur le support. Il produit alors au niveau mental une évanescence des mots qui servent à symboliser le sens à traduire.

En somme, la déverbalisation consiste en une dissociation entre la forme linguistique et le sens. Elle est un tremplin entre la langue-source et la langue-cible. Danica Seleskovitch et Marianne Lederer (1984 : 72) illustrent ce point de vue en concluant que:

«le sens est un vouloir dire extérieur à la langue (antérieur à l’expression chez le sujet parlant, postérieur à la réception du discours chez le sujet percevant), que l’émission de ce sens nécessite l’association d’une idée non verbale à l’indication sémiotique (parole ou geste, peu importe en soi le support qui se manifeste de façon perceptible !) et que la réception du sens exige une action délibérée du sujet percevant. Dans cette perspective, on est amené à ne plus voir dans l’agencement des mots que des indices, puisés par le locuteur dans le savoir partagé qu’est la langue, reconnus de ce fait par l’auditeur, mais ne servant au premier que de jalons pour sa pensée, et au second que de tremplin pour la construction du sens de ce qu’il entend».

2.3.3. La réexpression

La réexpression représente l’étape finale du processus de traduction, selon la théorie du sens. De ce fait, elle est le résultat des deux étapes précédentes, c’est-à-dire la compréhension et la déverbalisation. La réexpression, en effet, met le traducteur dans la peau de l’auteur. C’est le lieu où le traducteur transcrit le sens, le vouloir-dire de l’auteur. Cela pousse Israël (1990: 251) à souligner l’importance de la réexpression :

«quel que soit le type de texte abordé, qu’il soit littéraire ou pas, la phase de réexpression est une étape cruciale du processus traductif non seulement parce qu’elle en constitue l’aboutissement mais aussi parce qu’elle est le signe concret de l’engagement du traducteur. Et c’est elle qui bien souvent détermine le sort du texte traduit».

La traduction est un cas particulier de communication. Dans cette optique, le traducteur doit se comporter comme un locuteur dans la langue-cible. Toutefois, il doit garder à l’esprit que la réexpression ne se fait pas au niveau de la langue, mais au niveau du sens. La déverbalisation permet, justement, de prendre une distance par rapport aux mots. Ainsi, la réexpression permet de restituer le sens en tant que produit non verbal du texte-source. Par ailleurs, la distance vis-à-vis des mots du texte-source permet au traducteur de sélectionner les termes les plus acceptables par la communauté linguistique cible. Il traduit pour faire comprendre le sens du texte-source par la communauté-cible. Pour réaliser ce projet, il doit utiliser les codes linguistiques admis par ladite communauté. L’objectif recherché est que la traduction soit naturelle dans la communauté-cible, à l’image de la réception du texte original dans la communauté-source. Les principales représentantes de la théorie interprétative peuvent donc conclure en ces termes: «le sens est individuel mais les formes sont sociales; on peut dire ce que l’on veut mais le moule qui recevra le vouloir dire doit être conforme aux usages. Les mêmes idées peuvent être exprimées dans toutes les langues mais doivent l’être dans le respect des conventions de chacune» (Seleskovitch et Lederer, 1984: 34).

3. La dimension fonctionnelle de la traduction: la théorie du skopos

La dimension fonctionnelle de la traduction a été développée par des traductologues allemands. Leurs travaux s’appliquent fondamentalement à des textes techniques, même si la traduction littéraire peut également servir de corpus à ces théories fonctionnelles de la traduction. Dans la présente étude, nous allons porter notre attention sur la théorie de l’action et sur la théorie du skopos. La théorie de l’action a été développée avant celle du skopos. En réalité, la théorie du skopos est une récupération des fondements de la théorie de l’action. Les théoriciens les plus représentatifs du skopos sont Hans Josef Vermeer[5] et Katharina Reiss[6]. Leur point de vue sur le nombre croissant de traductions techniques ainsi des approches de plus en plus fonctionnelles de la traduction est le suivant :

«le fait que l´on préfère aujourd´hui la traduction communicative est dû probablement à l´augmentation du nombre des traductions des textes considérés comme techniques par rapport aux textes considérés comme littéraires, et aussi au fait qu´aujourd´hui, par rapport à des époques précédentes, il y a un nombre incomparablement plus élevé de lecteurs des traductions […] qui attendent que la traduction se lise "comme un original"». (Vermeer et Reiss, 1996: 121)

La théorie du skopos constitue une théorie fonctionnelle de la traduction. Elle plus tournées vers l’aspect pragmatique de la traduction. Alors la théorie du skopos « s’intéresse avant tout aux textes pragmatiques et à leurs fonctions dans la culture cible » Guidère (2016: 74).

Le vocable "skopos" est un emprunt fait à la langue grecque. Il signifie «la visée, le but ou la finalité » (Guidère, 2016). Dès lors, la théorie du skopos part du principe préalable qui veut que chaque traduction soit orientée vers une finalité précise. Les choix opérés par le traducteur, pour accomplir sa tâche, se font en fonction du skopos ou but que celui-ci assigne à la traduction. Il s’agit ici d’une théorie "cibliste", et pour cause ; la fonction assignée au texte-cible est spécifiée par le client au traducteur, selon ses besoins et sa stratégie de communication. Néanmoins, la théorie du skopos impose au traducteur de respecter certaines règles :

«d’une part, la "règle de cohérence" qui stipule que le texte cible […] doit être suffisamment cohérent en interne pour être correctement appréhendé par le public cible, comme une partie de son monde de référence. D’autre part, la "règle de fidélité" qui stipule que le texte cible doit maintenir un lien suffisant avec le texte source pour ne pas paraître comme une traduction trop libre » (Guidère, 2016: 75).

La philosophie rationnelle nous enseigne que la conscience humaine est toujours orientée vers un but bien déterminé. Dès lors, c’est la conscience qui régit tous les actes humains, par le biais de l’intention. En réalité, l’explication des actes humains est à rechercher dans l’intentionnalité de la conscience et pour cause : « le mot intentionnalité ne signifie rien d’autre que cette particularité foncière et générale qu’a la conscience d’ être conscience de quelque chose, de porter, en sa qualité de cogito, son cogitatum en elle-même ». (Husserl, 1931 : 136)

La notion de skopos semble s’inspirer de la philosophe prônée par Edmund Husserl. De notre point de vue, il est possible de s’appuyer sur certains concepts clé de la philosophie phénoménologique développée par Husserl, pour rendre raison des fondements de la théorie du skopos. Il faut souligner, dans ce cadre, que la phénoménologie d’Husserl et la théorie du skopos de Vermeer ont en partage les notions d’intention et d’action. Cela se concrétise dans l’analyse que nous faisons ci-après sur l’intentionnalité dans la théorie du skopos.

3.1. Le skopos et l’intentionnalité selon la philosophie d’Edmund Husserl

Dans ses travaux sur l’explication des phénomènes qui nous entourent par la conscience, Husserl fait ressortir la relation entre la conscience humaine et la perception des phénomènes. Pour lui, la perception n’est pas la simple réception d’images ou de signes extérieures. Il s’agit d’un phénomène qui va au-delà de la passivité. Il faut plutôt voir en la perception une action régie par la conscience. Nous percevons des choses parce que nous avons la possibilité d’agir sur elles. En s’opposant à la conception commune qui veut que la perception soit un processus de réception d’informations extérieures par nos sens, Husserl postule que la perception se manifeste par la capacité d’agir de la conscience sur les choses. En d’autres termes, l’objet reflète la virtualité des actions de l’homme. Ainsi, la perception amène la conscience à s’interroger sur les possibilités d’action sur l’objet perçu. En clair, la perception vise l’action.

Cela nous permet de dire que la perception met en branle l’intentionnalité de la conscience. Pour ce faire, il faut voir dans l’intentionnalité un mouvement ou une action vers un objet perçu. L’intentionnalité est un effort que la conscience humaine réalise en se transportant vers un objet perçu. Cette relation entre l’intentionnalité de la conscience et la perception des phénomènes s’applique également à la traduction, dans la perspective de la théorie du skopos. Ici, la traduction tient lieu de phénomène perçu par la conscience. En d’autres termes, face à un texte, la conscience de l’auteur scrute les différentes possibilités d’action traductives. Pour mieux comprendre cette approche rationnelle de la traduction, nous allons analyser la relation entre le skopos et l’action.

3.2. Skopos et action

La définition de skopos le donne comme finalité, but ou intention. Appliqué à la traduction, le skopos est le principe fondamental qui détermine l’acte de traduire. En réalité, par skopos il convient de comprendre la consigne essentielle qui motive l’action de traduire. Le skopos s’assimile à l’intention qui est à l’origine de la traduction.

En effet, le skopos fixe les modalités préalables de réalisation de la traduction. Dans cette perspective, la traduction est envisagée, avant tout comme une action. Conformément à la phénoménologie d’Edmund Husserl, toute action de la conscience est prédéterminée par le principe de l’intentionnalité.

Dès lors, l’intentionnalité est une partie intégrante de la définition de tout acte humain. Ce principe s’applique également au skopos, qui comme nous avons pu l’observer au gré de la présente analyse, s’apparente à la théorie de l’intentionnalité de la conscience d’Husserl. Comme tel, le skopos se présente comme un concept fondateur de la toute-puissance du traducteur. Il met le traducteur au centre de tous les processus qui aboutissent à la traduction. La conscience de celui-ci se pose comme l’espace de réalisation du projet de traduction. De même, c’est l’intention qui émane de la conscience du traducteur qui lui permet d’envisager les diverses possibilités à combiner pour mener à bien ladite traduction.

En somme, toute action traductionnelle est motivée par un skopos ou une intention. Aussi faut-il se rendre compte que chaque acte réalisé pour accomplir la traduction est soumis au libre-arbitre du traducteur. Le skopos met alors le traducteur face à une multitude d’options, parmi lesquelles celui-ci choisit la plus appropriée pour atteindre ses objectifs communicationnels. En définitive, aucune traduction n’est impartiale.

3.3. Intention et fonction dans la théorie du skopos

L’intention et la fonction constitue un couple oppositionnel qui permet de déterminer l’équilibre entre le texte-source et sa traduction. Il faut distinguer l’intention de la fonction d’une traduction, dans la perspective de la théorie du skopos. Tandis que l’intention a trait à l’action du traducteur au moment d’appréhender le texte-source, la fonction se rapporte plutôt au besoin auquel le texte-cible doit répondre au sein de la communauté réceptrice. Il faut dans ce contexte assimiler l’intention à un plan d’actions ciblé de la part du traducteur. À travers ce plan d’actions, le traducteur identifie le moyen le plus adapté à la réalisation de la traduction. En revanche, la fonction désigne l’utilité du texte-cible au sein du contexte socioculturel du public destinataire. Le texte-cible est censé correspondre aux attentes du destinataire, en termes d’objectifs textuels, communicationnels, culturels et situationnels. En réalité, la traduction doit avoir une utilité pertinente pour le destinataire, et ce, sans que le texte original ne l’accompagne obligatoirement. En d’autres termes, le texte-cible doit être, à la fois, cohérent et autonome vis-à-vis du texte-source.

Le cas idéal d’équilibre entre le texte-source et sa traduction, c’est lorsque l’intention coïncide avec la fonction. Il faut mettre l’accent sur le fait que le texte-source et le texte-cible appartiennent à des environnements culturels différents. Il existe une interaction entre intention et fonction, dans cette perspective. Notre point de vue est que l’intention doit déterminer la fonction de la traduction. L’intention est toujours à la poursuite d’un idéal, qu’est la fonction. L’équilibre et l’enjeu de la traduction est à rechercher dans cette quête continue qui a lieu entre l’intention du traducteur et la fonction que la traduction est censée occuper dans la communauté-cible.

Conclusion

La linguistique constitue la principale interdiscipline de la traductologie. Sa relation avec la traductologie est symbolisée par la théorie linguistique et la théorie de l’équivalence dynamique. Ses deux théories proposent l’analyse de la traduction du point de vue linguistique, mais selon des perspectives différentes. Tandis que la théorie linguistique s’inscrit dans une vision comparatiste de la traduction, celle de l’équivalence dynamique met en avant l’aspect communicationnel et sociologique de la traduction. Au-delà des divergences entre ces conceptions linguistiques de la traduction, elles sont de véritables outils d’analyses des implications qui existent entre la traductologie et la linguistique.

La théorie interprétative constitue la troisième grande théorie de la traduction que nous avons analysée dans cette étude. Elle fonde l’analyse de la traduction sur la notion de "sens". C’est une théorie qui propose une étude pragmatique de la traduction. Elle propose, dans cette optique, de faire abstraction des mots pour ne laisser transparaître que le sens. La théorie interprétative permet donc de mettre la traductologie avec la psycholinguistique, dans la mesure où ses méthodes d’analyse ont un caractère cognitif.

Cet article nous a, finalement, servi de cadre d’étude de la dimension fonctionnelle de la traductologie, à travers la théorie du skopos. Cette théorie définit la traduction par rapport à la finalité que celle-ci doit atteindre et l’action que le traducteur doit réaliser en vue de ladite finalité. À la différence des théories mentionnées plus haut, elle n’analyse pas la traduction selon la perspective d’une autre discipline. Elle revendique donc une plus grande autonomie de la traductologie.

Références Bibliographiques

Guidère, Mathieu. (2016). Introduction à la traductologie, penser la traduction: hier, aujourd’hui, demain. Louvain-la-Neuve: De Boeck Supérieur.

Hurtado Albir, Amparo. (2001). Traducción y traductología, introducción a la traductología. Madrid: Cátedra.

Husserl, Edmund. (1931). Méditations cartésiennes, une introduction à la phénoménologie. Californie: Berkeley.

Israël, F. (1990). Traduction littéraire et théorie du sens. In Marianne Lederer. (Ed.), Études traductologiques. Paris: Minard.

Lederer, Marianne, et Seleskovitch, Danica. (1984). Interpréter pour traduire. Paris: Didier Érudition.

Lederer, Marianne. (1994). La traduction aujourd’hui. Le modèle interprétatif. Paris: Hachette.

-----------------------. (1997). La traduction simultanée. Paris, France: Minard.

Milliaressi, Tatiana (éd.). (2011). De la linguistique à la traductologie, interpréter/traduire. Villeneuve: Presses Universitaires du Septentrion.

Moya, Virgilio. (2010). La selva de la traducción. Teorías traductológicas contemporáneas. Madrid: Cátedra.

Rabadán, Rosa. (1991). Equivalencia y traducción: problemática de la equivalencia translémica inglés-español. León: Université de León.

Raková Zuzana. (2014). Les théories de la traduction. Brno: Masarykova univerzita.

Reiss, Katharina, et Vermeer, Hans Josef. (1996). Fundamentos para una teoría funcional de la traducción. Madrid: Ediciones Akal.

Seleskovitch, Danica. (1981). Introduction. Pourquoi un colloque sur la compréhension du langage. In Danica Seleskovitch (Ed.), Actes du colloque Comprendre le langage (pp.9-15). Paris: Didier Erudition.

Van, Dinh Hong. (2010). La théorie du sens et la traduction des facteurs culturels. Synergies Pays riverains du Mékong, (n°1), pp.141-171.



[1] L’évolution de la traductologie semble de plus en plus aller au-delà de ces quatre théories essentielles de la traduction. De nouvelles conceptions théoriques commencent à apparaître, dont la théorie du polysystème, la théorie de l’action et la théorie du jeu. Certaines de ces théories demeurent très peu développées, à l’instar de la théorie du jeu. Mais dans le cadre de la présente analyse nous focalisons notre attention sur les quatre théories traditionnelles de la traduction.

[2] Le texte a été mis en gras par nous, pour mettre l’accent sur les exemples énoncés.

[3] «la traduction consiste à reproduire; par une équivalence naturelle et exacte, le message de la langue originelle dans la langue réceptrice, d’abord en ce qui concerne le sens et ensuite en ce qui concerne le style.» (La traduction est de nous.)

[4] «notion centrale de la discipline translémique, ayant un caractère dynamique et une condition fonctionnelle relationnelle, présente dans tout binôme textuel et sujette à des normes à caractère sociohistorique. Elle détermine, avec une propriété définitionnelle, la nature même du de la traduction.» (La traduction est de nous.)

[5] Hans Josef Vermeer (né le 24 septembre 1930 à Iserlohn; et décédé le 4 février 2010 à Heidelberg ) était un spécialiste de la langue allemande et de la traduction scientifique. Il est le fondateur de la théorie de skopos. Il a enseigné la traduction au Département de Linguistique et d’études culturelles de l' Université de Mayence et à l'Université de Heidelberg.

[6] Katharina Reiss (née le 17 Avril 1923) est une traductologue. Elle est un défenseur de la théorie de la skopos. Ses travaux ont joué un rôle important dans le développement de la traductologie moderne .